Une nouvelle publication de la collabaoration LIO IVirgo intéressant ARTEMIS : A la recherche des polarisations « interdites » dans le bruit de fond des ondes gravitationnelles avec Advanced LIGO

Il y a un siècle Einstein révolutionnait notre compréhension de la gravité avec sa théorie de la relativité générale, qui rend responsable la courbure de l‘espace-temps autour des objets massifs de l’attraction qu’ils exercent.  Il se pourrait cependant que la relativité générale soit seulement une approximation d’une théorie plus complète, tout comme la théorie de la gravitation de Newton est une approximation de celle d’Einstein. Pour savoir si c’est le cas, les physiciens et astronomes se livrent à des tests, en comparant la réalité des propriétés de la gravitation aux prédictions faites par la théorie. Un quelconque désaccord signifierait que la théorie de la relativité générale n’est pas tout à fait correcte.

L'astronomie gravitationnelle, cette discipline que la collaboration LIGO Virgo a créée dès la première détection d’ondes gravitationnelles, fournit la possibilité de plusieurs tests. Un de ceux-ci utilise la polarisation des ondes gravitationnelles, qui décrit la façon dont l’onde distord l’espace-temps (imaginez par exemple la surface de l’océan montant ou descendant sous l’effet d’une vague, ou la vibration d’une corde de guitare fixée à ses deux extrémités). La relativité générale fait des prédictions précises pour cette polarisation : les ondes gravitationnelles ne peuvent prendre que deux polarisations particulières, dites polarisations « tensorielles ». Les autres théories permettent au contraire des polarisations supplémentaires, des polarisations « vectorielles » et « scalaires » au nombre de quatre. Que l’onde soit scalaire, vectorielle ou tensorielle, l’espace-temps n’est pas déformé de la même façon quand l’onde se propage. De façon imagée, si une polarisation scalaire est un point et une polarisation vectorielle une ligne, une polarisation tensorielle est un plan. Selon la relativité générale, les polarisations scalaires et vectorielles n’existent pas dans le cas des ondes gravitationnelles. Toute observation de ces polarisations « interdites » prouverait de facto que la théorie d’Einstein est fausse et indiquerait la nécessité d’une théorie plus complète et plus complexe.

 

Dans cette étude nous avons recherché la trace de polarisations interdites dans le bruit de fond stochastique. Contrairement aux signaux « bruyants » provenant de collisions de pairs d’astres détectées jusqu’à présent par Advanced LIGO et Advanced Virgo, le bruit de fond stochastique ressemble à un petit brouhaha produit pas la combinaison de plusieurs sources gravitationnelles « silencieuses », car trop faibles, trop rares ou trop éloignées pour être détectées individuellement. Bien que ces sources soient silencieuses, quand elles se recouvrent elles peuvent produire un signal long que les détecteurs Advanced LIGO et Advanced Virgo peuvent repérer (écouter ceci). L’amplitude de ce fond stochastique peut être décrit en termes de densité d’énergie : c’est la fraction de l’énergie totale de l’Univers présent sous forme d’ondes gravitationnelles. On a déjà recherché le bruit stochastique dans les signaux d’Advanced LIGO, mais uniquement sous forme d’ondes polarisées tensoriellement, les seules permises par la relativité générale. Aucun bruit stochastique n’y a été détecté encore. Cette recherche a permis de placer une limite supérieure sur la densité d’énergie de ce bruit de fond, à la fois sur le ciel entier et en fonction de la direction. Mais si une fraction importante de l’énergie de ce bruit stochastique possédait une polarisation interdite, cette analyse aurait pu le manquer.

Dans cette nouvelle analyse nous avons utilisé les données prises par Advanced LIGO durant la première période d’observation (O1) entre septembre 2015 et janvier 2016, pour répondre à deux questions. Premièrement, est ce que Advanced LIGO a enregistré une trace de fond stochastique, de quelque polarisation que ce soit (interdite ou non) ? Deuxièmement, y a-t-il une trace de polarisation interdite dans ce bruit de fond ? La réponse est que nous n’avons pas trouvé de trace de bruit stochastique de quelque polarisation que ce soit durant la première période d’observation, et donc il nous est impossible de dire si ce bruit de fond contient ou non des polarisations interdites, scalaires ou vectorielles. 

Cependant, il nous est possible de placer une première limite sur l’amplitude du bruit de fond scalaire ou vectoriel. La figure ci-contre montre les distributions des probabilités obtenues pour des densités d’énergie tensorielles (bleu), vectorielle (rouge) ou scalaire (vert). Les zones colorées (distributions de densité d’énergie) illustrent les densités d’énergie compatibles avec nos mesures – plus élevée est la valeur de la distribution en un point donné, plus forte est sa probabilité de présence dans nos données. Notez que nous avons fait le calcul dans deux cas très différents (appelés « distributions a priori »), montrés en lignes pointillées : une distribution de probabilité uniforme, ou au contraire une distribution de probabilité exponentielle qui élimine les petites ondes et privilégie les signaux les plus puissants. Les résultats sont présentés sur chaque graphe (couleur claire ou plus foncée). On constate que quelle que soit la distribution d’énergie a priori, les distributions tombent à zéro au-dessus d’une certaine valeur de densité d’énergie (vers la droite de chaque graphe). Cette propriété rend possible le calcul de limites supérieures pour l’amplitude de chaque type de polarisation. Ces limites supérieures impliquent que moins d’un millionième de l’énergie totale de l’Univers soit sous forme de fond stochastique d’ondes gravitationnelles.  

Essayer de mesurer directement la polarisation des ondes gravitationnelles constitue un nouveau test puissant de la relativité générale. Comme nous n’avons pas encore détecté de bruit de fond stochastique, ou relevé la présence de polarisations « interdites », ce travail aboutit à une limite supérieure – la première - sur la densité d’énergie provoquée par une polarisation vectorielle ou scalaire. Dans le futur, la sensibilité accrue d’Advanced LIGO et Advanced Virgo, et la construction de détecteurs additionnels conduiront à une meilleure résolution de la polarisation des ondes gravitationnelles.  

Référence

Search for Tensor, Vector, and Scalar Polarizations in the Stochastic Gravitational-Wave Background, B. P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration), Phys. Rev. Lett. 120, 201102 – Published 16 May 2018

Glossaire

  • Stochastique : apparemment aléatoire, mais avec des propriétés statistiques mesurables définies par une distribution de probabilité.
  • Bruit de fond stochastique d’ondes gravitationnelles : fond d'ondes gravitationnelles aléatoires formé par des signaux superposés trop faibles pour être détectés individuellement.
  • Relativité générale : théorie de la gravité d'Einstein, qui a prédit les ondes gravitationnelles en 1916.
  • Polarisation des ondes gravitationnelles : forme géométrique de l'étirement et de la compression de l'espace-temps causés par le passage d’une onde gravitationnelle.
  • Polarisation tensorielle : polarisation d’une onde gravitationnelle autorisée par la relativité générale.
  • Polarisations vectorielles / scalaires : polarisations supplémentaires prédites par certaines théories alternatives de la gravité, mais interdites par la relativité générale.
  • Densité d'énergie d'onde gravitationnelle : fraction de l'énergie totale de l'Univers sous forme d’ondes gravitationnelles.
  • A priori : hypothèse ou hypothèse initiale quant à la forme d'une distribution de probabilité.

Pour en savoir plus :