COMMUNIQUE DE PRESSE
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OCA, le 10 Juillet 2008
La fragmentation par rotation à l’origine des astéroïdes binaires
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Deux chercheurs du laboratoire CASSIOPEE (INSU-CNRS - Observatoire de la Côte d'Azur, Université de Nice-Sophia Antipolis)[1] en collaboration avec un chercheur de l’Université de Maryland (USA)[2] viennent de trouver par simulation numérique l’origine des astéroïdes binaires qui constituent 15% des deux populations d’astéroïdes, celle située entre Mars et Jupiter dans la Ceinture principale et celle croisant la trajectoire de la Terre. Un effet thermique est connu pour entraîner une augmentation de la vitesse de rotation d’un astéroïde. Lorsque celui-ci est un agrégat, l’accélération de sa rotation provoque un déplacement de matière des pôles vers l’équateur et un échappement de cette matière à l’équateur. Cette matière va de nouveau s’agréger pour former un satellite de l’astéroïde avec les propriétés observées. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature du 10 juillet 2008.
Les astéroïdes binaires sont des mini-systèmes Terre-Lune composés d'un corps central autour duquel tourne un petit satellite. Ces astéroïdes constituent 15% des populations des objets de la Ceinture Principale et des géocroiseurs, objets passant à proximité de la Terre. L’étude de la nature de la composition rocheuse de ces astéroïdes répond à une double problématique : mieux comprendre la structure des géocroiseurs qui nous « menacent », nous informer sur la composition initiale du Système Solaire que ces astéroïdes ont gardé en mémoire. L’existence d’astéroïdes binaires et leur origine peuvent nous révéler des informations sur les propriétés physiques de ces petits corps.
Ces astéroïdes doubles ont des propriétés bien caractéristiques : le corps central (dit "primaire") est en général presque sphérique, et le secondaire (le satellite) est sur une orbite presque circulaire autour du primaire. Des études montrent que des effets de marée peuvent casser un corps passant près d'une planète. Mais s’il y a formation d’un système binaire, d’une part ce système peut se déstabiliser rapidement lors d’un passage suivant, d’autre part la forme du primaire sera plutôt allongée, ce qui est contraire aux observations. Les effets de marée ne peuvent donc expliquer le fait que 15% des astéroïdes soient doubles avec un corps primaire de forme quasi-sphérique.
Dans l'article à paraître dans Nature le 10 juillet, les trois chercheurs montrent, par simulation numérique, qu'il existe un mécanisme très robuste pour former les astéroïdes binaires avec les bonnes propriétés : l’effet Yorp. Il s’agit d’un effet thermique, qui tient compte de l’éclairement du Soleil, de la forme de la surface de l’astéroïde, et du taux d’absorption du rayonnement par cette surface. Cet effet peut augmenter ou diminuer le taux de rotation des astéroïdes de taille kilométrique. Il a déjà été observé récemment sur deux astéroïdes géocroiseurs.
Les chercheurs ont donc simulé l'augmentation du taux de rotation d'un astéroïde due à cet effet, en représentant l'objet par un agrégat composé de sphères liées par gravité, hypothèse en accord avec différentes études et observations. Ils ont mis en évidence deux phénomènes lorsqu’un corps de ce type se met à tourner de plus en plus vite. Certaines particules descendent du pôle vers l'équateur et l’astéroïde perd de ces morceaux depuis son équateur, là où la force centrifuge est la plus élevée. Ces particules, qui s'échappent, vont se réaccumuler pour former un satellite. Le primaire du fait de l’aplatissement de ses pôles, contrebalancé par l’échappement de matière au niveau de l’équateur, aura une forme approximativement sphérique. Les particules s’échappant, si elles sont constituées de matériaux suffisamment poreux, pourront se réaccumuler d’une manière stable. Le résultat final sera donc un astéroïde double, composé d'un primaire assez sphérique, d'un secondaire dont la taille par rapport à celle du primaire est similaire à celles observées, et dont l'orbite est aussi similaire aux observations. Le résultat final est même très similaire à l'image radar du binaire 1999 KW4 (cf. figure ci-dessous).
L'effet YORP semble bien être à l'origine de la grande fraction des binaires observés. Mais ceci fait aussi apparaître que les objets binaires sont préférentiellement issus d'un agrégat, et non d’un monolithe, ce qui est en accord avec l’idée que ces astéroïdes sont poreux. Ceci a des implications fortes dans la définition des stratégies de défense pour faire face au risque d’impact. Un autre résultat très intéressant est que ce sont les particules de la surface du primaire, qui viennent du pôle et s'échappent de l'équateur, qui forment le secondaire. Ainsi on peut s'attendre à ce que la surface du primaire soit plus "fraîche" que celle du secondaire, comme si on lui enlevait sa première peau en laissant apparaître de la matière n’ayant pas subit d’interaction avec le milieu environnant. Ce serait donc très intéressant d'aller voir un tel objet, voir de récolter un échantillon, comme la mission Marco Polo en phase d’étude à l’Agence Spatiale Européenne, en partenariat avec l'Agence Japonaise JAXA, se propose de le faire sur un astéroïde primitif, car ce serait une façon d'avoir des informations de sous- surface sans avoir à creuser!
Référence : « Rotational break-up as the origin of asteroid binaries», par Kevin Walsh, Derek C. Richardson, P. Michel. Nature 454, 188-191. 10 Juillet 2008.
Contact Chercheur et Observatoire de la Côte d'Azur
Patrick Michel (chercheur et médias) - Tél.: 04 92 00 30 55/ 06 88 21 28 33 - Mél : michel@oca.eu
Contact presse CNRS :
Philippe Chauvin - Tél : 01 44 96 46 36 - Mél : philippe.chauvin@cnrs-dir.fr
Légende de la figure : formation d’un objet binaire par augmentation de la rotation d’un astéroïde dû à l’effet thermique appelé YORP. En haut: simulation numérique du processus : initialement, l’astéroïde est un agrégat constitué de roches liées par la gravitation. Quand la rotation de l’astéroïde accélère du fait de l’effet YORP, les roches situées à l’équateur vont pouvoir s’échapper, celles des pôles vont descendre vers l’équateur et aussi s’échapper. Parmi toutes ces roches qui s’échappent, sous certaines conditions, quelques-unes vont se réaccumuler autour de l’astéroïde et former ainsi un satellite. Sur la figure, les particules en orange sont celles qui étaient initialement à la surface de l’astéroïde et celles en blanc étaient initialement situées au-dessous de la surface. La figure montre bien que les pôles du corps primaire ont été ainsi « dégarnis » et qu’ils sont maintenant constitués de matière « fraîche » (non exposée aux radiations solaires) qui était initialement sous la surface. Cela rend l’exploration des astéroïdes binaires particulièrement intéressante pour observer l’intérieur d’un objet sans avoir à creuser. En bas : Image radar d’un astéroïde binaire réel 1999 KW4 (par Ostro et al.). La forme du primaire produit par la simulation est en parfait accord avec l’observation, ainsi que la taille du secondaire. A la fin de la simulation la séparation entre les deux objets sera similaire à celle de 1999KW4. ã OCA, INSU. Ostro et al. NASA.
[1]Kevin Walsh, boursier Post-Doctoral Poincaré à l’Observatoire de la Côte d’Azur (OCA) et Patrick Michel, Chargé de Recherches au CNRS, responsable du groupe de Planétologie de l’UMR Cassiopée/CNRS à l’OCA
[2]Derek C. Richardson, Professeur au Département d’Astronomie de l’Université de Maryland (USA)